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Pratique, scène : l’art de transmettre et d’interpréter les partitions d’une composition musicale selon Thomas Nguyen

Thomas Nguyen fait ses premières gammes au piano à l’âge de 5 cinq ans et découvre les grands maîtres de la musique savante au Conservatoire Régional de Reims. Son répertoire est constitué d’opéras, de contes musicaux, de comédies musicales et de pièces de musique de chambre, vocales et instrumentales. En parallèle des musiques de scène et de concert, Thomas Nguyen compose régulièrement pour des documentaires (ARTE, France TV). Il continue de collaborer en tant que pianiste, arrangeur ou directeur musical avec de nombreux artistes, représentatifs de la création musicale contemporaine et participe à différentes tournées en France et à l'étranger.

L’aventure de la partition, de la mélodie à la composition  

La naissance d’une partition est un processus assez long. Il peut parfois se passer plusieurs semaines, voire plusieurs mois, entre l’apparition de l’idée, le moment d’écriture et de création, et le moment de la première interprétation publique d’une œuvre. Avant toute chose, on part généralement d’un support : un texte, un poème, un roman. Ce support fait naître des images, des couleurs, des sensations, puis une structure. On a besoin de voir les choses intérieurement avant de commencer à les écrire.

Dans cette structure mentale apparaissent des idées de mélodies, d’harmonies, de cellules rythmiques, etc. C’est à ce moment précis que l’on commence à poser les idées sur le papier et à composer la partition.

L’instrument : un outil indispensable à la création 

Le piano est un outil indispensable dans mon processus créatif, car cela me permet d’entendre concrètement la musique, de la ressentir dans le corps. À titre personnel, je l’utilise également comme instrument de réduction lorsque j’écris pour des effectifs plus importants. Il m’arrive parfois de m’installer à mon bureau sans avoir d’idée précise, et de laisser la place à mon imaginaire musical pur. Mais cette méthode relève davantage de l’improvisation, et je ne fixe que très rarement les idées qui en surgissent.

La composition d’une partition nécessite un savoir-faire technique exigeant et précis : harmonie, orchestration, registre et technique spécifiques aux différents instruments de l’orchestre, etc. 

Une grande partie de ce savoir-faire s’acquiert grâce à l’étude de la musique. La rencontre avec un interprète est ensuite fondamentale dans le processus de création d’une nouvelle musique.

La composition, une aventure humaine entre savoir-faire et créativité 

Chaque projet est une nouvelle aventure, à la fois musicale et humaine, provoquée la plupart du temps par une rencontre avec un interprète. 

Citons un exemple très concret puisque, à l’heure où j’écris cet article, j’achève tout juste la composition d’une partition pour harpe et trombone basse, commandée par Annabelle Jarre (harpiste) et Cyril Bernhard (tromboniste). Avant même de commencer à réfléchir aux idées, nous avons passé du temps ensemble à jouer de la musique, à parler des spécificités de chacun des instruments, à lire des partitions. 

1.L’immersion dans l’oeuvre 

Une première phase d’immersion a été indispensable et a permis d’avoir une idée plus précise des possibilités techniques du trombone basse et de la harpe et des couleurs provoquées par le mélange des timbres. Il a ensuite fallu se tourner du côté de la littérature pour choisir le support. 

J’ai décidé de travailler autour de la triade lunaire et ai intitulé cette œuvre, Les trois chants de la lune, mélodies pour trombone basse et harpe. Dans la mythologie grecque, la triade lunaire regroupe trois divinités, Hécate, Séléné et Artémis, aux représentations et symboliques très différentes et complémentaires. Ces trois visages de la lune semblaient être le support idéal, et ont nourri un imaginaire musical pendant tout le processus créatif. 

2.La première lecture de la partition  

La partition existe aujourd’hui sur papier, et nous pouvons entamer une nouvelle étape dans le processus de la naissance d’une œuvre : celle de la première lecture avec les interprètes. À mon sens, il s’agit là du moment le plus important du processus de création : entendre pour la première fois, de façon concrète, la musique que l’on a imaginée. 

3.L’analyse de la partition

Nous analysons ensuite la partition ensemble pour éventuellement y apporter certaines modifications. C’est seulement à l’issue de cette étape, qui peut par ailleurs provoquer une réécriture partielle de certains passages, que la partition sera fixée et prête à être interprétée pour la première fois en public. Chaque projet est une nouvelle aventure, provoquée la plupart du temps par une rencontre, avec un artiste, avec un interprète. La rencontre avec l’interprète est essentielle, notamment pour régler des questions relatives aux spécificités techniques et à la virtuosité.

Transmettre une composition à un interprète ou à un ensemble orchestral

Adapter une création musicale à un ensemble d’interprètes : l’exemple d’un conte musical

1.L’émergence d’une idée de conte musical entre improvisation et virtuosité

Mon conte musical, Le violon virtuose qui avait peur du vide, composé en 2014, en est une illustration. Une discussion entre l’auteur-chanteur-improvisateur Néry Catineau, et le violoniste soliste Sergey Malov a été le départ de ce projet. Néry était impressionné par la virtuosité de ce prodige du violon. Sergey a fait part de son appréhension à l’idée d’improviser mais qu’il avait envie de s’y risquer. 

L’idée de départ ? Un conte musical initiatique, conçu sur mesure pour Sergey Malov, où se côtoient virtuosité et improvisation. La composition : un violon solo, accompagné par un quatuor à cordes, un chœur mixte et un récitant.

2.L’adaptation et la modification de la partition 

Etant donné que la première partie de la partition est conçue autour de la question de la virtuosité à l’instrument, c’est la partie la plus difficile. Nous devons ici composer une partition virtuose pour un instrument non maîtrisé. Et comme le dit Sergey : « Quand tu joues des partitions virtuoses, si tu as l’impression que c’est facile, c’est parce qu’à un moment de la répétition, ça le devient ».

Nous tentons alors d’adapter l’ensemble de cette partie pour la rendre la plus virtuose possible. Concrètement, cela peut se traduire par la modification de certains arpèges, par des renversements d’accords, afin que la difficulté se transforme en agilité. 

La seconde partie du conte musical est assez différente : il s’agit d’introduire petit à petit l’improvisation à la partition soliste. Pour cela, je conçois une notice d’improvisation, avec différentes techniques, qui permettent au soliste de se référer à un certain vocabulaire, en fonction des parties improvisées. L’improvisation est au départ très cadrée, puis de plus en plus libre. 

💡À l’issue de cette création, Sergey Malov nous a confié que la pratique de l’improvisation lui permettait d’acquérir une maîtrise supplémentaire de son instrument, et qu’il se sentait de plus en plus libre, quel que soit le répertoire qu’il jouait.

Improvisation, transmission et modification de la partition 

La transmission occupe une place importante dans le travail de compositeur. J’ai fondé, en 2011, une troupe de jeunes, composée d’une vingtaine d’enfants et d’adolescents. Le premier objectif était de faire découvrir le chant choral à des jeunes éloignés de la pratique musicale et des circuits académiques d’apprentissage. Très vite, ce projet a pris de l’ampleur et nous avons opté pour une approche pluridisciplinaire, à la manière des écoles de comédies musicales, mêlant le chant soliste, le chant polyphonique, le théâtre et la danse. 

Le processus : nous travaillons sur un répertoire de créations originales, et je compose les partitions sur mesure, en fonction de l’effectif, des envies et des capacités des jeunes. L’apprentissage des partitions passe avant tout par l’oreille et par la mémoire. 

1.L’improvisation : une approche idéale pour favoriser l’interprétation et la mémoire  

L’improvisation permet ensuite à tous d’avoir accès à la musique, lecteurs de partitions ou non. La partition arrive dans un second temps et permet aux jeunes de se repérer, même s’ils ne lisent pas précisément la musique. Cette méthode d’apprentissage présente de nombreux avantages :

  • L'approche pluridisciplinaire favorise l’interprétation des partitions, à la fois dans le texte, dans la projection et le placement de la voix, et dans la posture du corps.

  • L'apprentissage par la mémoire permet à la fois de développer l’oreille et d’ancrer la musique dans le corps, ce qui, dans le cas précis de cette troupe de jeunes, favorise la qualité de l’interprétation musicale. 

2.Le travail de correction de la partition originale 

Le procédé de création d’une partition nécessite de nombreux ajustements, notamment au moment des premières répétitions. Il est très fréquent de modifier quelques mesures, d’en ajouter, d’en supprimer. 

Au-delà des raisons techniques liées aux instruments, les corrections et adaptations de partitions arrivent fréquemment lors d’une création scénique. Dans le cas d’une création d’opéra ou de comédie musicale, la musique, qui occupe une fonction centrale, est fonctionnelle et se trouve au service d’une dramaturgie, celle du texte et/ou de la mise en scène. 

La lecture de la partition au cœur de la compréhension de la structure musicale, de la rythmique et  de l’harmonie 

L’apparition d’outils numériques et d’applications permettant de lire les partitions et de les annoter ou les corriger en temps réel est un gain de temps énorme, notamment pour le compositeur. Il n’était pas rare, avant d’utiliser ces outils, de devoir, du jour au lendemain, corriger quelques mesures d’une partition, de reporter ces corrections à la fois sur le conducteur et sur les parties séparées, et d’éditer un nouvel exemplaire pour la suite des répétitions. Les outils numériques offrent un gain de temps considérable : les corrections sont directement apportées sur la partition, qui n’a pas besoin d’être de nouveau éditée et imprimée. N’est-ce pas prodigieux ?!

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