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Comment apprendre à jouer des percussions à l’âge adulte selon Victor Kraus

Rencontre et discussion avec le percussionniste, compositeur et enseignant Victor Kraus.

Percussionniste producteur, compositeur et enseignant né dans les années 1980, Victor Kraus suit une éducation musicale classique. Le musicien entreprend des études musicales supérieures à la Hochschule für Musik Karlsruhe (Allemagne) et au Conservatoire de musique de Strasbourg (France). Aussi bien influencé par le répertoire classique, que par la techno ou la musique contemporaine, Victor Kraus apprécie mêler différentes esthétiques ensemble et multiplie les collaborations avec de nombreux artistes. 

Nous avons eu l’occasion d’échanger avec ce grand de la musique au sujet de sa vision de l’enseignement des percussions en direction d’un public plus ou moins jeune. 

Pouvez-vous nous présenter votre parcours de musicien et d’enseignant ? 

Je m'appelle Victor Kraus et je suis percussionniste issu d’une famille de musiciens. Mes  parents étaient pianistes, j’ai donc logiquement commencé très tôt par le piano. Seulement, à 5 ans, j’ai eu un accident avec l’un des doigts de ma main droite. Ma courte carrière de pianiste s’est donc très rapidement arrêtée. Mon parcours est un peu spécial, parce que j'ai commencé assez tard à suivre des études musicales. J'ai passé un bac en arts. À 19 ans, j’ai passé les examens d'admission dans une école d'art à Paris et c'est après cela que j'ai décidé vraiment de faire de la musique. J'avais un niveau vraiment très bas, quasiment amateur. Ce n’est qu'à 20 ans que j'ai vraiment pris la décision de faire des études musicales à l’Université. J'ai commencé mes études à Hochschule für Musik Karlsruhe. Et ce n’était pas facile de reprendre tout ce qui n’a pas été acquis pendant vingt ans.

J’ai passé mon diplôme, et je suis ensuite allé à Strasbourg pour faire une spécialisation en musique de chambre. Pendant ce temps-là, j'avais déjà créé le duo de percussion KrausFrink, avec le percussionniste allemand Martin Frink, qui est le percussionniste de la Deutsche Radio Philharmonie (la Radio Sarroise). On a monté ce  duo de percussion contemporaine durant 13 ans. Du contemporain, de l'électroacoustique, et même des musiques de films. Mais j’étais physiquement épuisé par la lourde logistique des instruments (trop de matériel à déplacer, coût des déplacements trop onéreux), donc j’ai arrêté et commencé à jouer dans différents groupes : Nomad The Group, le groupe de musique des Balkans et mon trio de jazz Dock in Absolute dans lesquels je joue de la batterie. J’enseigne depuis 2009 au Conservatoire de Musique de danse et des arts de la scène et de la parole à Luxembourg ville. 

Dans les percussions, il n'y a pas un seul instrument, il y en a des dizaines. Peut-on maîtriser plusieurs instruments de percussions à la fois ? 

Dans Nomad et dans Dock In Absolute, je joue de la batterie. Mais techniquement parlant, je ne suis pas un batteur. 98% des batteurs professionnels jouent mieux que moi. Mais avant d’être batteur, on est musicien, et dans mon cas, musicien-percussionniste; cela aide beaucoup pour la batterie. Jouer en concert partout dans le monde dans un style jazz (ce qui n’est pas mon domaine au départ) est pour moi une nouvelle expérience et une grande satisfaction. Mais on ne peut pas être le meilleur du monde dans tous les instruments. En général, il y a un instrument sur lequel on se focalise particulièrement. Il y a certains percussionnistes qui disent « Je suis marimbiste » par exemple ou « je suis vibraphoniste ». 

Quelles sont les différentes méthodologies pour apprendre les percussions ?

C’est une question qui me suit depuis 14 ans, depuis le tout début de ma carrière d’enseignant… 

Prenons l’exemple d’un élève, un débutant à 6, ou 8 ans. On va lui faire travailler la caisse claire. Et s’il a déjà commencé le solfège, cela veut dire qu'il connaît déjà les notes. On va le mettre avec deux baguettes devant une caisse claire qui n'a pas beaucoup de son. Ensuite, à la maison, on va le mettre sur un practice pad qui sonne encore moins et on va lui expliquer peu à peu ce que signifie une blanche, une ronde, une noire (les rythmiques). Il lui sera ensuite demandé de reproduire ces rythmiques sur la caisse claire. Le professeur va lui dire de compter pour ne pas être désorienté.  

C’est une méthode hyper classique que j'ai aussi vécue et qui est quand même très technique.

En fait, l'élève va commencer par la base de la rythmique. Cela signifie apprendre à jouer la ronde, la blanche, la noire, la croche, à faire des rythmes avec et à compter les temps. L’élève fera des choses très simples pour commencer. Tout d'abord c'est hyper technique, et même si l’on joue un air de musique à côté, pour l’oreille, c’est quand-même très fade car, du point de vue expérience sonore, cela reste des coups simples. Un coup sur une caisse ne représente à première vue aucun effort et cela ne donne pas énormément de satisfaction ; rien à voir avec un autre instrument, qui même s’il sonne “faux” au début, représente une action bien plus gratifiante.

Au début ce n’est pas facile, il y a beaucoup d'informations, il faut écouter, bien se placer sur la musique, il faut lire, il faut coordonner droite et gauche. C’est donc complexe de lancer de la musique tout de suite en parallèle. Mais le point fondamental, c'est qu'en percussion, au début, il manque un paramètre fondamental de la musique : la mélodie et l’harmonie

Qu’avez-vous remarqué lors des tout premiers cours donnés à des débutants ? 

J’ai constaté avec beaucoup d'élèves que si je leur fais jouer un rythme de but en blanc, ils auront beaucoup de problèmes à le reproduire, mais si je joue avec eux ce même rythme au piano l‘enveloppant dans une mélodie accompagné de l‘harmonie, ils me le joueront tout de suite, sans problème. La musique est composée de mélodies, d’harmonies et de rythmes. Ce sont vraiment les trois premiers paramètres les plus importants. Et si vous enlevez un de ces paramètres, ça devient compliqué. 

Pour résumer, au tout début, il est très important de ne pas isoler le rythme. Beaucoup de professeurs pratiquent cette pédagogie. Mais je suis persuadé qu’il est bien de commencer avec une mélodie. Quitte à ce que l'élève ne joue que du rythme pendant que je l’accompagne ou bien que je lui demande de chanter une mélodie avec à la maison. Ça c'est vraiment pour le début de l’apprentissage des percussions, pour apprendre à coordonner droite et gauche. Il nous faut l’aide de ces deux paramètres manquants au début, la mélodie et l’harmonie.

Comment structurez-vous vos cours? 

La première moitié de mon cours se déroule sans partition, avec des rythmiques un peu complexes que l’on va jouer à l'oreille. Les élèves débutants sont capables de le faire. Je fais correspondre cette rythmique avec une mélodie que je joue au piano et l'élève la chante, pour qu'on ait tout de suite un résultat. La deuxième partie du cours, c‘est la lecture de rythmiques bien plus simples car là, en contraste du purement auditif, une difficulté s'ajoute, celle de la notation qui doit être déchiffrée pour ensuite être “traduite“ en son. Écoute, lecture et mouvement sont les trois phases de mes cours de percussions. 

Il n’y a pas qu’une seule méthode pour enseigner les percussions. Cela va dépendre de l'élève tout simplement. 

Comment est-ce que les élèves débutants s’initient au rythme ? 

Quoi qu’il arrive, l’un des piliers importants de l’apprentissage des percussions est le fait de compter. En fait, le compte stabilise le rythme, parce que c'est une grille. Ne pas compter, c'est un peu comme si vous écriviez sur une page blanche sans les carreaux. Ce sera difficile de garder bien droit son écriture. C'est pour ça que les profs vont toujours forcer les élèves à compter. Mais c'est hyper cérébral, parce que l'élève devra avoir une vision mathématique des rythmiques pour réussir à coordonner et rythmer droite et gauche. Avec les enfants, il faudra même plus privilégier le «ressenti» («feeling») des rythmiques ; chaque rythme transporte un ressenti propre qu’il faut absorber. Dans ce cas, on travaille la mémoire émotionnelle et non la mémoire cérébrale.

Le volet cérébral de l’apprentissage va mieux fonctionner avec un adulte qu'avec un enfant. L‘enfant n‘a pas encore cette notion mathématique des choses; par contre, en pratiquant régulièrement, un enfant peut plus facilement absorber instinctivement la suite de gestes et leurs résultats (le son). La grande différence entre les adultes et les enfants, c'est qu'avec un adulte, bien sûr, vous pouvez travailler la musique à travers la compréhension intellectuelle. L'enfant n'a pas besoin de tout comprendre du fonctionnement intellectuel. L'important est qu'ils aiment venir et qu'ils fassent des choses tout simplement, qu'ils soient en action. Il faut établir des réflexes. Il y a certains réflexes qui sont hyper difficiles à rétablir à l'âge adulte. Comme pour chaque apprentissage, si vous commencez très tôt et que vous impliquez le corps, les choses sont plus fluides par la suite.

Qui sont vos élèves et dans quel cursus évoluent-ils ?

Au conservatoire de Luxembourg, nous enseignons dans différents types de cursus : les débutants, l’initiation et l'éveil musical. On a également des élèves qui préparent leur entrée à l’université, car au Luxembourg comme à Strasbourg, c’est possible de lier des cours à l’université avec un cursus au conservatoire. J’ai donc trois types de publics : les tout petits, les plus avancés et les adultes qui se mettent à la musique à 40 ans. 

Est-ce que c'est plus difficile pour une personne de 40 ans de découvrir les percussions ou est-ce que c'est tout aussi facile que pour une personne de 7 ans ?

Tout dépend de l’objectif derrière l’apprentissage. Si vous voulez devenir professionnel et que vous commencez à 30 ou 40 ans, c’est assez compliqué. Si c'est pour le plaisir, alors ça va. Bien sûr, à chaque âge, vous pouvez commencer un instrument ou apprendre quoi que ce soit. Mais du point de vue de la coordination, ce sera plus difficile. 

Pour tout ce qui est de la compréhension, , normalement ce sera plus facile pour un adulte parce que par rapport à un enfant de sept ans, vous avez quand même un avantage intellectuel. C'est aussi simple que ça. 

Après, ce qui est déterminant à tous les âges, c'est l'investissement. L'investissement en temps et en régularité fera toute la différence, que vous ayez 7 ou 40 ans. Si vous arrivez à garder une certaine régularité, vous aurez forcément un résultat.

En fait, j'essaie aussi de transmettre à mes élèves le fait que réviser sa musique n'est pas du travail en soi. C'est un moment pour soi. Ce qui est tellement beau et bien dans la musique, c'est qu'on travaille pour soi-même. La musique permet de se ressourcer, c’est une méthode vieille comme le monde ! Même s’il y a une dose contraignante liée à la détermination, il ne faut pas trop forcer les élèves, il faut leur faire comprendre qu’ils apprennent pour leur bien. Comme je le fais avec mes jumeaux de 9 ans qui apprennent la trompette. 

Finalement, un adulte de 40 ans dispose déjà de la motivation qu’un enfant n’a peut-être pas encore ? 

Très bonne question. Le problème majeur des adultes que j’ai déjà eus en cours, c'est le manque de temps. Ils bossent et ils ont des enfants. Souvent, ce n’est qu'après la retraite qu’ils ont le temps. J'ai vraiment un énorme respect pour tous ceux qui, entre 25 et 60 ans, arrivent à jongler entre vie familiale, vie professionnelle et travail d’un instrument. Les adultes sont motivés, oui, mais, d’un point de vue technique, ils resteront à un niveau de loisir : ils pourront monter un petit groupe d'amateurs, jouer dans une fanfare, prendre du plaisir ou bien jouer dans un orchestre symphonique d’adultes amateurs, par exemple. 

C'est dans les hauts et très hauts niveaux que vous remarquerez la différence entre une personne qui a commencé la musique jeune ou à un âge avancé. La question, c'est l’objectif. Si les adultes n'arrivent pas à le faire, la plupart du temps, c'est simplement parce qu'ils manquent de temps.

Que pratiquez-vous comme exercice dans le cadre d’une initiation? 

Tout d’abord, on chante beaucoup. En fait, la règle générale, c'est que si vous savez le chanter, vous saurez aussi le jouer.

Ce que j'essaie d'éviter, c’est de commencer avec une méthode ultra cérébrale, mathématique, sans avoir un vrai accompagnement sonore. Ce que j’essaie de faire, c'est tout d'abord de faire beaucoup jouer les élèves, sans les partitions. Je chante un rythme et les élèves le jouent plusieurs fois. Noire, croche, double croche, croche pointée double, syncope ou triolet, quelques rythmiques de base. 

Par exemple, je vais faire répéter à l'élève un cercle rythmique en boucle et je vais le jouer avec lui. Ensuite, je vais me détacher de l'élève et jouer quelque chose d'autre, déjà pour l'entraîner à faire coexister deux rythmiques en même temps, par exemple. En parallèle, on travaillera la partition. 

Selon vous, est-ce possible d'apprendre correctement des rythmes de percussion sans vraiment lire aucune partition ?

Oui bien sûr. À un certain moment, on a commencé à noter la musique. Ce qui est génial parce que quelqu’un pourra jouer votre musique en recevant une partition loin de chez vous. Mais, dans d’autres cultures, la transmission des histoires et des musiques se fait par voie orale et, surtout via un apprentissage qui est bien différent du nôtre. Ces différentes cultures doivent être source d’inspiration pour enrichir la méthodologie de nos cours de musique

Quels types d'instruments conseillez-vous à des adultes qui découvrent la pratique musicale de la percussion? Certains sont-ils plus faciles à découvrir?

Je pense qu'il n'y a pas vraiment d’instruments plus simples ou plus complexes selon l’âge. En fait, vous allez jouer ce dont vous avez envie, même si c'est vrai que les élèves ont toujours une préférence pour certains instruments. Il y a les instruments à clavier, le xylophone, le marimbaphone et le vibraphone. Certains préfèrent ceux-là. D’autres préfèrent les instruments à peau : la caisse claire, les timbales, les tomtom ou la batterie

Au début, c'est une découverte. Il faut que je voie qui est mon élève afin que je m’adapte à lui. Et je me sers de ça pour créer son initiation. Les premiers cours, on est hyper libre et il faut s'adapter à l'élève. Et ensuite on commence à scolariser la chose, d'une manière méthodologique.

Mais au final, dans un cours de percussion, vous allez jouer de tout. La spécialité, c’est vraiment une affaire de goût. Ce que vous ne pouvez pas éviter, ce sera la caisse claire. Même si vous jouez du xylophone, il vous faudra quand même maîtriser un minimum la caisse claire. C'est difficile à éviter parce qu'il faut développer les poignets, ce qui se développe beaucoup plus à la caisse claire qu'au xylophone.

Qu’y a-t-il de très spécifique à la pratique de la percussion comparé à la pratique d’un autre instrument ? 

Les percussionnistes sont les seuls musiciens à ne pas avoir de contact direct avec leur instrument. Par exemple, un trompettiste produit le son avec ses lèvres, c'est-à-dire avec son corps. L‘instrument lui sert d‘amplificateur. En plus de cela, le percussionniste aura à maîtriser des mouvements très grands. La distance entre deux lames sur un Marimba est énorme comparée au mouvement qu’un clarinettiste doit faire pour changer d‘une note à l‘autre. En plus, et cela est le point central de la difficulté, il devra regarder son instrument, sinon il va taper à côté. Pour cette raison, un percussionniste va prendre toujours beaucoup plus longtemps pour apprendre une même quantité de notes que tout autre instrumentiste.

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