Scott Joplin

Chaque mois, nous mettons à l’honneur un compositeur célèbre, qui a marqué l’histoire de la musique. Dans ces interviews, ils nous parlent de leur histoire, et de ce qui les a poussés à composer leurs œuvres les plus marquantes. L’occasion pour vous d’en savoir plus et d’obtenir des partitions gratuites de certains de leurs plus beaux morceaux ! Ce mois-ci, nous donnons la parole au grand compositeur américain Scott Joplin.

Scott a préparé une setlist complète pour les abonnés Newzik, qui contient l’ensemble des œuvres évoquées dans cet aricle. Si vous êtes déjà abonné, n’attendez pas et téléchargez-la !

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Compositeur du mois : Scott Joplin

Je ne sais pas vraiment quand je suis né. Rien d’étonnant, il faut dire que je suis issu d’une famille noire au Texas dans les années 1860 : savoir quand je suis né est le cadet de mes soucis. Tout ce que je sais c’est qu’en 1870, j’avais deux ans.

Mon père, Giles Joplin, a grandi dans l’esclavage. Ma mère, Florence Givins, non. Cela dit, elle était femme de ménage et lavandière pour une riche famille blanche - à l’époque cela n’était pas très loin de l’esclavage. J’ai toujours baigné dans la musique, mon père était violoniste, ma mère banjoïste et chanteuse, et mes cinq frères et sœurs jouaient de la guitare, de la trompette ou chantaient.

Pour ma part, c’était le piano. Ma famille étant plutôt pauvre, je n’allais pas à l’école. Je me souviens accompagner ma mère lorsqu’elle allait faire le ménage chez les voisins. Je comprends maintenant que c’était simplement pour éviter que je ne l’embête, mais elle me collait systématiquement devant le piano. Alors, en autodidacte, j’apprenais. Je lui dois énormément. Malgré notre pauvreté, mon père m’offrit un piano ainsi que des leçons avec Julius Weiss, mon premier professeur de musique. Il m’enseigna la composition, l’harmonie en me faisant voyager à travers les genres musicaux européens, notamment l’opéra.

Please Say You Will

Cette courte valse est la toute première oeuvre de Scott Joplin, publiée en 1895. Ce morceau n’est pas un témoin de son style - car c’est une valse et non un rag - mais est en tout cas témoin de l’éducation classique du compositeur : la partie vocale demande une interprétation presque lyrique.

On y perçoit déjà la technique musicale extrêmement précise de Scott Joplin. Il faut toutefois reconnaître que ce morceau aurait pu être écrit par de nombreux compositeurs, notamment européens. Cela reste un morceau très prometteur pour le compositeur qui n’avait que 27 ans à l’époque.

Je quittai le cocon familial très jeune. Je voulais me lancer, tout simplement. Je fus cornettiste pour le Queen City Concert Band et pianiste au Maple Leaf et au Black 400. Ce qui est bizarrement agréable lorsque l’on joue dans un bar, c’est que les gens ne vous écoutent pas. J’en profitais alors pour modeler mon style et dressais ainsi les bases du ragtime : je syncopais les rythmes, fusionnais mes différentes sensibilités. Je publiai ma toute première œuvre en 1895, Please Say You Will. Je repris alors des études de musique, au George R. Smith College à Sedalia. Sur la porte, il y avait cette pancarte : “Réservé aux Noirs”

Puis, à la fin des années 1890, je publiai mon premier vrai ragtime pour piano, Original Rag, qui malheureusement fut très mal reçu par le public. En revanche, la fortune me sourit car peu de temps après je publiais le Maple Leaf Rag, qui fut un des ragtimes les plus vendus au monde ! Un million d’exemplaires, je n’y croyais pas moi-même. Je me félicitais d’avoir voulu travailler avec un avocat sur la sortie de ce morceau : je m’étais assuré de gagner 1 cent par vente. Cela ne semble pas être beaucoup, mais avec un million de ventes, c’était largement assez.

Avec ce succès je mis toute mon énergie au service du ragtime. Le style était en train de conquérir le pays et on me surnommait “The King of Ragtime” ! Ainsi naquirent The Entertainer, The Ragtime Dance ou encore Peacherine Rag.

The Maple Leaf Rag

Le Maple Leaf Rag en la bémol majeur est un des ragtimes de Scott Joplin les plus connus. On peut même facilement dire que c’est le ragtime le plus connu tout court. En effet, il devint assez vite après sa sortie une sorte de modèle pour les compositeurs de ragtime à venir.

Cette pièce est tout à fait remarquable car dès la première note, Joplin saute directement dans un rythme effrenné qui ne s’arrêtera pas avant la dernière. Ce qui rend la difficulté de ce morceau assez élevée est aussi la répétition à contre-temps de la mélodie. On y retrouve des rythmes syncopés, tout à fait caractéristiques du ragtime et du style de Scott Joplin comme l’est aussi sa structure en AA-BB-A-CC-DD, similaire à ses autres morceaux.

Il vous faudra une excellente coordination de la main gauche pour surmonter ce morceau (il y a parfois des sauts de deux octaves !). Le “Gladiolus Rag”, une composition ultérieure de Joplin, est une variante développée du “Maple Leaf Rag” qui met en évidence la sophistication musicale croissante de Joplin, et est généralement joué à un rythme un peu plus lent.

Il y eut plusieurs femmes dans ma vie. La première, Bella Hayden, avec qui je me mariai en 1901 mais dont je divorçai en 1904. Puis, le 14 Juin 1904, j’épousai Freddie Alexander. Elle était magnifique, ses cheveux bouclés noirs comme la nuit donnaient un air grave à sa jeunesse pétillante. Quelques mois plus tard, le 10 septembre, elle mourut d’une pneumonie doublée d’une grippe. Je lui dédiai un morceau, une valse, Bethena, dans laquelle je relate ma relation avec Freddie. Je ne sais pas pourquoi je l’ai écrit ; je n’arrive pas à le jouer. Il est trop dur, trop triste.

Cela marque le début d’une sombre période : ma carrière déclina et ma situation financière se dégrada, étant très mal payé malgré le succès de mes oeuvres. En 1907, après quelques années à Saint Louis à enchaîner les petits boulots pour vivre, je décidai de partir à Chicago travailler avec Louis Chauvin sur un slow rag du nom de Heliotrope Bouquet. Puis je partis à New York chercher des financements pour mon opéra Treemonisha. J’y rencontrai mon ami Joseph Lamb (qui devint un des plus grands compositeurs de ragtimes).

Alors que je publiais toutes mes oeuvres chez Stark, je voulus changer d’éditeurs. Ainsi me dirigeai-je vers Seminary Music, chez qui je publie ma méthode de ragtime pour débutant, School of Ragtime.

Sun Flower Slow Drag

Le Sun Flower Slow Drag, publié en 1901 et à l’époque présenté comme la “petite soeur du Maple Leaf Rag” est un morceau bien ancré dans le style qui fit la renommée de Scott Joplin, même s’il fut co-composé avec Scott Hayden. C’est une pièce remplie de gaieté, un véritable rayon de soleil, typique des compositions joyeuses de Joplin. Cette joie dans la musique peut être attribuée au fait qu’à la même époque Scott Joplin courtisait sa première femme, Belle, qui était la veuve du frère de Hayden.

Avec une structure tout à fait typique des rags de Scott Joplin et une coda remarquablement similaire à celle de The Entertainer, ce morceau de 4 minutes n’a strictement rien à envier aux ultra-célèbres compositions de Joplin.

En 1911, je publie mon opéra Treemonisha. Cette pièce me tient tout particulièrement à coeur. J’y ai mis un morceau de mon histoire et je rends hommage à ma mère, à Freddie aussi.

Treemonisha, personnage principal de l’opéra, est la seule afro-américaine instruite de son village, ceci reflétant ma conviction que l’égalité raciale viendrait de l’éducation. Eduquons-nous, cultivons-nous, éclairons-nous et plus jamais les humains ne traiterons d’autres humains comme leurs inférieurs. Peut-être est-ce utopique, mais résolument faut-il ne serait-ce que laisser la chance aux Noirs de s’éduquer, plutôt que de les parquer dans des quartiers pauvres et de les laisser mourir de désespoir.

Alors qu’il y a vingt ans l’illustre tchèque Dvorak vint tous frais payés vivre aux Etats-Unis, je dus financer moi-même mon opéra. J’étais pauvre, et pourtant je dus payer moi-même la publication de mon oeuvre ainsi que de sa réduction pour piano et chant. Toute ma vie j’ai joué dans des bars et dans des bordels pour pouvoir me nourrir. Ma musique, que je considérais comme classique, on l’appelait “musique de saloon”. Et mon oeuvre maîtresse, mon seul opéra, je n’en vis jamais la création.

Les partitions de Treemonisha près du coeur, je sombre dans la maladie. Une pensée m’obsède : n’étais-je aux yeux de tous qu’un noir qui jouait du piano ?

Treemonisha, Ouverture

Treemonisha est le seul opéra de Scott Joplin. Il rend hommage à sa mère et sa deuxième femme Freddie, et s’attaque à la problématique de l’égalité raciale en plus de mettre en scène une femme noire guidant toute une population.

Au-delà d’être une oeuvre résolument politique, Treemonisha fait preuve d’une intéressante complexité musicale. En effet, on présente souvent la pièce comme un “Opéra Ragtime”. Toutefois, c’est bien davantage que cela. Si l’on y retrouve les figures syncopées si chères à Scott Joplin, on y entend auss des chants d’esclave et du gospel se mêlant à de la musique de salon, de l’opérette et de l’opéra européen.

Cette oeuvre est clairement la pièce maîtresse du répertoire de Scott Joplin. Elle véhicule un double enjeu : d’une part elle est une sorte de “melting pot” de tous les genres influençant Scott Joplin, d’autre part elle est le témoin de son époque, traitant d’une problématique qui n’est peut-être toujours pas résolue aujourd’hui.

Certains affirmaient que Scott Joplin était un des meilleurs pianistes au monde, d’autres qu’il jouait lentement mais avec beaucoup de précision. En 1916, l’état de santé de Scott Joplin se dégrade terriblement. Etant atteint de la syphilis depuis probablement une vingtaine d’années, il sombre dans la schyzophrénie. Il termine sa vie dans un hôpital psychiatrique, à New York, où il s’éteint le 1er avril 1917, à l’âge de 48 ans. Même s’il était reconnu comme un génie du ragtime, le ragtime lui-même n’était pas reconnu comme un style légitime. Pourtant, Scott Joplin injectait dans ses compositions le soin d’une éducation musicale raffinée, largement inspirée de sonorités européennes et marquée emprunte du style de Chopin.

Il faudra attendre 1972 avant la création de Treemonisha en version concert, et 1975 pour la version opéra. Il était un musicien exceptionnel.

Nous connaîtrons finalement sa date de naissance, ironiquement, dans son épitaphe : le 24 novembre 1868.

Aurel Beaumann

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